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UNE BOURGEOISE A BAMAKO. "A cé bè kru kònò": son mari est dans la pirogue.

14 juillet 2012

BAMAKO 1

Dans l'aéroport de Marseille, je me suis assise à côté de Zaineb, et les 4h00 d'attentes supplémentaires avant d'embarquer, sont finalement passées très vite, elles lui ont laissé le temps de me raconter à peu près toute sa vie. De son mariage arrangé à 15 ans avec son mari qu'elle appelle aujourd'hui son petit vieux … en passant par son choix de porter le voile depuis à peine quelques années après la mort de son fils, jusqu'à la recette de la harissa.

 

Après l'embarquement et l'arrivée à Tunis suite à un atterrissage mouvementé et plus que douteux, j'étais contente de retrouver comme prévu Michele, en transit lui aussi dans l'aéroport de Tunis avant de se rendre à Paris. Mon MP3 via son ordinateur portable et moi-même via sa chaleur et son amitié avions besoin de recharger les batteries.

 

En arrivant dans cet aéroport, j'ai tout de suite été dérangée par l'odeur de fumée, plus j'avançais dans les couloirs, plus ma vue se brouillait, un voile désagréable venait se poser devant mes yeux. Pas la peine comme toutes ces femmes de porter la burqa dans ces conditions! Les gens fumaient, ils fumaient partout, dans les toilettes, dans les magasins!

 

Ici, ma petite robe d'été se remarquait un peu plus, contrastant avec ces voiles couvrant de la tête aux pieds des femmes dont je ne pouvais percevoir que le regard à travers un centimètre de tissus entre-ouvert. Regards de femmes dont je n'aurais su dire s'il était envieux, méprisant, dérangé ou simplement banal. Regards de leurs barbus qui me mataient comme des malpropres et auxquels je vouais un dégoût profond et sincère. Explique-moi, barbu, si tu es si prude avec ta femme que tu caches, pourquoi te permets-tu ainsi de déshabiller de ton regard tyrannique celle qui n'appartient à personne? Je me sentais légère, fière et libre. Comme si ma robe pouvait leur hurler l'importance de cette liberté, putain!

Zaineb m'avait confié, dans l'avion, sa haine envers ces mêmes barbus qui, pendant la révolution du jasmin, avaient brûlé des filles au vitriole…

 

Fidèle à lui-même, Tunis Air a continué de bon train en nous annonçant un retard de 2h supplémentaires sur le prochain vol. J'en étais à 14h dans les aéroports pour seulement une heure de vol effectuée, à ce rythme là, j'aurai déjà pu être en Australie …

 

J'ai donc eu le temps d'aller aux toilettes et, tandis que je me lavais les dents, deux nénettes en burqa sont entrées, ont fermé la porte et se sont mises derrière moi en faisant des mouvements amples. L'espace d'une seconde j'ai eu peur, «mais qu'est-ce qu'elles font, je vais me faire terrorister?». Et puis non, en me retournant, je les ai vues se dessaper et arborer des débardeurs indécents, trop petits, qui vomissaient des poitrines proéminentes aux soutiens-gorges vulgaires. Fumant leurs cigarettes, entre deux retouches de maquillages, elles s'éventaient en se plaignant de la chaleur.  Très vite les toilettes se sont transformées en hammam. C'est rassurant de voir que sous ces toges fantomatiques se cache de la vie!

 

J'ai également été surprise de découvrir des sales de prières dans l'aéroport et des gens qui prient n'importe où avec une certaine manière de se donner en spectacle pendant la longue mise en scène du rite.

 

Arrivée dans la salle d'embarquement pour Bamako, j'étais pour la première fois de ma vie la seule blanche au milieu de tous ces noirs qui m'abordaient en arabe pensant que j'étais tunisienne.

Le hall était absolument dégueulasse, il y avait de tout partout, des bouteilles, des canettes, des mégots, des sachets plastiques … et un niveau sonore qui devenait insupportable.

 

Nous avons finalement embarqué et j'ai très vite rencontré des gens avec qui je pouvais discuter. Il semble que plus on descend vers le sud, plus le contact est facile et spontané. Après 5h de vol interminables, j'avais déjà trois adresses et trois numéros de téléphone de personnes sur qui je pouvais compter à Bamako. À l'arrivée, chacun m'a présenté à sa famille. Le plus dur restait pourtant à venir: il s'agissait de récupérer nos valises.

Après 19h de voyage, une nuit de 3h et sous le regard de Pierre, au loin derrière une vitre, il m'aura fallu attendre encore 2h avant qu'on m'annonce que ma valise n'était pas arrivée à bon port. Je râlais, je râlais de ce manque d'information, je râlais comme une française, de la passivité et du fatalisme des passagers. Et plus je manifestais ce mécontentement, plus c'était mal vu. On m'avait pourtant dit «maintenant il faut attendre les valises, et encore, si on peut les récupérer» Plus de 500 passagers de trois vols différents sont restés sans leurs bagages. Parce que c'est l'été, paraît-il … Parce que, surtout, les compagnies nous vendent hors de prix des prestations qu'elles ne sont pas capables de respecter.

J'ai demandé a parler à un représentant de Tunis Air, je voulais des explications, mais on s'est moqué de moi. Je faisais rire les passagers. «Il faut qu'on demande un dédommagement! Nous avons payé une somme considérable pour avoir plus de 6h00 de retard et ne pas récupérer  nos valises!», en vain. Je leur ai parlé de la SNCF, qui nous remboursait quand il y avait du retard, mais je suis passée pour une folle qui brasse du vent pour rien.

 

On m'a dit d'aller au bureau des réclamations. Ah! Le bureau des réclamations, c'est une petite porte en bois, devant laquelle une masse s'amoncelle. Par un réflexe acquis, j'essayai de respecter une file d'attente qui s'avéra vite être imaginaire. Tout un tas de gens me bousculaient et s'agglutinaient contre moi. Dès qu'une personne voulait sortir du bureau, je m'écartais pour lui céder le passage, mais c'était alors trois personnes de plus qui en profitaient pour s'interposer et me prendre la place. Il fallait que je fasse comme eux sinon jamais je n'allais passer. J'ai dû moi aussi bousculer tout le monde pour me frayer un passage, et atteindre enfin un bureau sorti tout droit d'un roman dont l'histoire se déroule dans les années 60.

Le secrétaire aux réclamations de garde ce soir-là n'avait même pas d'ordinateur, n'avait aucune idée de la localisation de nos bagages. Il se contentait d'inscrire sur des feuilles volantes le nom et le contact des dizaines de personnes qui lui tendaient leur billet d'avion en même temps, en nous garantissant qu'on serait prévenus dès réception de nos valises. Tu parles !

Finalement, après être parvenue tant bien que mal à faire inscrire mon nom, en supportant les réflexions désobligeantes comme quoi il fallait respecter le tour de chacun, de la part d'une nana qui voulait me doubler et me poussait depuis le début et à laquelle j'aurai fait bouffer son billet, on m'annonça que je ne pourrai récupérer ma valise que lors du prochain atterrissage de Tunis Air, à savoir jeudi ou dimanche prochain. Effectivement, les bagages qui tournaient en boucle sur les tapis roulants étaient datés du 4 juillet alors que nous étions le 8. J'étais folle, mais les Bamakois n'avaient pas l'air plus agacés que ça: «Bah, c'est comme ça!», disaient-ils résignés.

 

Le bon côté de la chose, c'est que je vais récupérer une tenue africaine, «un complet», cousu main sur mesure par le tailleur du quartier. Tout  ceci grâce à l'aide experte de Pierre, alias Madou Diabaté, un marchandeur chevronné. Il est connu comme le loup blanc ici, un toubabou qui de surcroît parle bambara, ça ne court pas les rues et tous les 20 mètres on vient lui serrer la main: «Hé Diabaté, ca va ?». Lorsqu'ils nous voient, les gamins courent vers nous pour demander à Madou Diabaté, si je suis sa femme, avant de me serrer la main et de repartir en courant.

 

Dans les rues, enfin je veux dire, sur les chemins de terre boueux et poussiéreux, j'ai l'impression d'avoir un warning qui clignote au dessus de la tête, tout le monde nous repère, et quand je les regarde en leur faisant des sourires, ils éclatent de rire. Les gamins nous courent après en nous disant «Hé toubabou, Bonsoir, bonsoir, ça va?». Hier soir, une petite fille est arrivée en courant vers nous: «Mademoiselle, bonsoir» elle a éclaté de rire et elle est repartit aussi vite qu'elle était venue.

Ils sont beaux ces gamins. Il y en a partout, ils jouent tous seuls, par terre, même en bas âge, au milieu de ces rues et de tous les dangers que mon regard occidentalisé ne peut s'empêcher d'appréhender. J'ai été choquée aussi par ces femmes qui portent leurs nouveaux nés dans le dos et dont la tête tombe à la renverse dans le vide. Nous qui mettons autant de soin a toujours soutenir la tête des bébés ... 

 

Après le détour chez le tailleur, ce fut la découverte de cette ville surpeuplée, une ville si …. si différente, c'est de la folie, j'ai l'impression d'être sur une autre planète. Les femmes ont toutes des kilos de choses sur la tête qu'elles trimballent avec une agilité et une élégance incroyable, tout comme sur les photos de l'AFP, mais en vrai! Sur la route traînent d'énormes cornes de je ne sais quel animal, des coqs, des ânes et des vaches gambadent un peu partout, un gamin de 4 ans court avec une tête de chèvre dans une main et une patte du même animal dans l'autre. Sur les marchés les mouches volent par milliers, il y a même des stands de féticheurs vendant des têtes de piafs, des fouines séchées, toute sorte de peaux et de têtes de bêtes, des flacons d'urine de lion et de graisse de vache... gare à ceux dont l'estomac ne serait pas bien accroché.

Toujours sur ces marchés, les sollicitations sont infernales et épuisantes, être blanc ici n'est pas de tout repos.

 

Suite à une pluie torrentielle, les amis de Pierre ont été inondés la nuit de mon arrivée, saison des pluies oblige. Dans le quartier, impossible de marcher sans se retrouver les pieds plein de boue.
Chez Ali et Mariko, tout était jonché dehors en attendant de sécher, les meubles, les canapés, les affaires, les amplis, tout. Les matelas étaient foutus, dissous comme des sachets de thé. Les habitants se sont «réveillés dans la nuit sur une pirogue, en l'espace de 2h00 la chambre est devenue un fleuve» et maintenant il va falloir déménager, car la saison des pluies n'en est qu'à ses débuts et que cela risque de se reproduire.

L'eau était montée de 50 centimètres en quelques heures, «à cause de ces cons d'espagnols» qui dernièrement ont fait construire toute une nouvelle concession qui empêche les eaux de s'écouler. Les habitants ont beau eu faire des réclamations auprès de la mairie avant que la saison des pluies n'arrive, mais en vain.

Après avoir transféré l'intégralité du studio d'enregistrement d'Ali chez Madou, protégé par son premier étage, pour le mettre à l'abri, nous sommes allés manger. Au début du repas, on nous amène une bouilloire avec de l'eau et une bassine pour se laver les mains. Ali me rappelle qu'il ne faut pas manger avec la main gauche.
Malgré ma faim, je n'ai pas pu avaler le poulet rachitique et dur comme du caillou qu'on m'a servi. Il faut dire j'avais vu courir ses frangins toute l'après-midi, un peu partout, en train de picorer des sacs plastiques. En plus de cela, je ne pouvais m'empêcher de me rappeler les millions de mouches dévorant tout sur les étals des marchés. Heureusement qu'il y avait des frites ce soir-là.

 

Profitant de la présence de clients potentiellement riches, plusieurs gamins sont venu nous montrer des «cartes de soutien» pour leur soirée qu'ils organisent. En d'autres termes, ils récoltaient de quoi payer la location des chaises et du matériel de sono pour leur boum.

Un mendiant de 5 ans a passé tout le repas à 5 mètres de notre table, nous dévorant des yeux. Dur! A la fin du repas, Ali l'a appelé pour lui donner ses restes et le pain que nous n'avions pas mangé. Le gamin a pris à pleine main ce qui allait être son repas du soir en le fourrant dans sa gamelle, y compris les os rongés, avant de repartir.

 

Ces enfants sont «confiés» par leur famille à des maîtres coraniques qui leur enseignent le coran tous les matins, et qui, pour leur «apprendre l'humilité», les envoient mendier toute la journée dans les rues. Parfois on les retrouve à des heures pas possibles, errants au bord des grandes routes dangereuses car ils n'ont pas récolté assez de pièces pour pouvoir rentrer chez leur maître sans se faire battre... Le maître en question, personnage estimé par ses semblables, se remplit les poches de la mendicité de ses élèves et passe ses journées à boire le thé.

J'ai demandé à Ali ce que devenaient ces enfants en grandissant. «Ah, eux, c'est la plaie de l'Afrique, en grandissant, tu veux que je te dise, lui son futur là, je le connais, lui il va devenir un grand voleur, un grand bandit, peut-être même un assassin et il va mourir très jeune de maladie!». Ali parle en prenant des airs profonds et sentencieux, inspiré par ses lectures de la bible. «Moi je ne suis pas religieux», aime-t-il dire, mais il aime tout autant citer des passages des évangiles, rêver de saucisson en déclarant que «ceci est le corps du Christ», avant de se signer en triangle tout en disant «père, mère, Saint-Esprit». Un héros romanesque.

 

Après ce repas riche en émotions, nous avons continué dans un bar fort sympathique, où j'ai eu l'honneur de me faire baptiser par Ali de manière plutôt solennelle. Il m' a donné le nom de sa belle sœur, «une femme qui a su s'adapter aux situations les plus difficiles pour sauver son foyer et une femme cosmopolite et multidimensionnelle», Néné Camara. «Néné veut dire froid en bambara et le froid ici c'est très important».

 

Après cette arrivée chargée en découvertes et en dépaysement, la dureté des nombreuses situations bouleversantes, le fourmillement de cette ville qui s'apparente à une cour des miracles, j'avais besoin de rentrer dans l'appart de Madou. J'étais fatiguée, trop de gens dehors, trop d'agitation, trop de voitures, de taxis, de motos, de poussière, de chaleur, de dangers sur les routes, sans casque, sans ceintures, sans permis de conduire, trop de bambins partout …

En arrivant à la maison, le taxi nous dit «ah, je ne me gare pas devant la porte car il y a de l'eau qui coule du balcon». On lève la tête, l'eau venait de chez nous et ne s'arrêtait plus de couler. Oh merde... on est monté en trombe et là, j'avais fait la bourde du siècle. En fait, en raison de la médiocrité des services publics, nous n'avons de l'eau que la nuit, à partir de 23H30 (quand elle ne coule pas marron). Et plus tôt dans la journée, je ne m'étais pas rendu compte qu'en voulant fermer le robinet avant de partir je l'avais en réalité ouvert à fond. Voilà ce qui nous a offert la deuxième inondation de la journée … Qui a dit qu'en Afrique il n'y avait pas d'eau!

Heureusement, le matériel de musique que nous avions amené pour le mettre à l'abri n' a rien eu.  Grâce à leurs constructions bancales, le sol n'est pas parfaitement plat et l'eau, au lieu de stagner partout, a coulé directement vers la sortie. J'ai seulement bousillé les énormes livres de thèse de Pierre ainsi que notre matelas, je crois qu'il me déteste...

On a quand même bien rigolé en épongeant tout ça jusqu'à quatre heures du matin, c'était tout ce qui nous restait à faire et puis on s'est dit «Bah, c'est comme ça», à la malienne…

Alors finalement, ma valise perdue, après tout ce qui se passe ici, ce n'est pas si grave...

 

Contre toute attente, et lorsqu'il n'est pas inondé, l'appart de Pierre est un petit nid douillet très confortable, où il est vital de se réfugier pour recharger les batteries. Malgré les appréhensions, tout y est propre, il n' y a aucune bête, le rêve (car j'ai oublié de dire que chez Ali, après l'inondation, les cafards amenés par les eaux nous montaient le long des jambes, et que les toilettes publiques laissent plus qu'à désirer). Au petit matin, des piverts viennent tambouriner sur les carreaux, le chant de l'appel à la prière vient bercer les sommeils tardifs, réveiller les pieux matinaux, et sous la moustiquaire, quand je m'endors aux rythme des basins frappés, je ferme les yeux et j' ai l'impression d'être dans le désert d'Alibaba…

 

 

Cambé !

Néné Camara.

 

 

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